Journal
Tout commence avec cette vidéo tournée dans le quartier de Mistral, à Grenoble, où l’on voit des hommes armés autour de ce qui s’apparente à un point de vente dans un parc pour enfants. La vidéo, et son coefficient de choc symbolique (“des trafiquants armés dans un parc pour enfants !?”), n’a pas tardé à être interceptée par les hauts fonctionnaires de l’Etat. Face au choc symbolique, réponse toute aussi symbolique : Darmanin ne tarda pas à envoyer des policiers occuper les lieux pour “restaurer l’autorité de l’État”.
Mais cette opération n’a pas été acclamée par le maire de Grenoble, qui rappela que lorsqu’il était moins exposées aux yeux du public, le gouvernement avait “oublié”, cet été, d’apporter son soutien :
“Depuis mars, les 3 plus grandes villes de l’Isère demandent un renfort de policiers à l’Etat: nous avions anticipé que le déconfinement exacerberait les tensions. A ce jour, toujours aucune réponse du @gouvernementFR… ”
C’est aussi, selon ce dernier, un simple effet de manche : les problèmes du quartier mistral ne se résolvent pas par une opération choc, mais par une gestion d’Etat mettant en place, sur le long terme, les conditions pour l’amélioration de la vie sociale, culturelle et économique du quartier.
Bref, ces deux représentants de l’Etat envisagent visiblement l’avenir du quartier selon deux manières différentes. Considérons, enfin, le quartier lui-même, et ses habitants.
Au lendemain de l’affaire, sur la story Instagram de Mistral, les abonnés voient tourner une capture d’écran de la vidéo en question sur BFM, accompagné de smileys éclatants de rire et la mention : “Le clip arrive bientôt les frr guettez-nous !”. ( Edit : le clip est disponible ici ).
Tout indique donc que la scène était mise en place pour un clip de rap. Un spectacle de trafiquants provoquant un spectacle de gouvernants… voilà ce à quoi nous avons donc assisté ces derniers jours.
Cela ne veut pas dire que la vie dans le quartier est facile pour ses habitants, ni que l’Etat ne peut rien y faire. Mais il semblerait bien que les conditions de vie difficiles dont nous avons cru être témoin à Mistral n’était que théâtrales, tout comme l’a été l’action policière (sur une cinquantaine de contrôle, aucune interpellation). La lettre de Darmanin, alors, n’est que la suite de cette comédie dramatique. Et le tragicomique atteint son comble lorsque Gérald compare, comme si cela relevait de l’évidence, les effectifs policiers de Grenoble avec ceux de Nice, la ville la plus sécuritaire de France. Bref, face à cela, le maire de Grenoble voulu donner à voir les coulisses. Nous parlons d’un quartier où, malgré les difficultés, l’on s’anime pour vivre au mieux possible. Ce n’est pas en entrant en guerre contre ce quartier et ses habitants, défenda-t-il, que l’Etat résoudra les problèmes de son quotidien.
Nocturnal
A présent, venons-en aux logiques, à ce qui ne se dit pas au grand jour, mais apparaît comme évidence la nuit. Nous avons ici une rencontre entre trois acteurs distincts : les dealers du quartier de mistral (du moins, leurs représentants médiatiques/artistiques disons), le maire de Grenoble, et le nouveau ministre de l’intérieur du gouvernement Macron.
[Avertissement : cette section est expérimentale, et sera accompagné de précisions méthodiques là où la pratique de dégager la logique de l’évènement les a exigé.]
Les dealers de mistral
Commençons par les dealers du quartier mistral. Quelle est leur histoire ? C’est celle d’enfants ayant grandi là où l’argent se fait rare, et où les opportunités de s’en faire sont plus souvent au dehors des cadres légaux qu’au-dedans. La difficulté qu’ont ces jeunes adultes-là pour subvenir à leurs besoins et atteindre un certain confort de vie (comme celui de ne pas partager sa chambre avec ses frères et soeurs par exemple…) est grande pour eux. C’est que les cadres institués ne leur sont pas favorables. Ainsi, l’asymétrie des conditions sous lesquelles un citoyen accède à un statut qui sécurise légalement son revenu se fait sentir dans ces quartiers, où il est bien su que nous ne sommes pas tous nés sous la même étoile. Il est alors très tentant pour les jeunes d’abandonner le cadre de la légalité pour sécuriser leurs projets de vie. Comme les golden boys, eux aussi veulent fabriquer leur propre chance. Et pour certains, à certains moments, cela apparaît même comme la seule option viable pour survivre. Leur histoire tend à les orienter vers des modes de revenus illégaux, car c’est la voie simple pour sortir d’une précarité promise par celles que leur proposent les institutions légales. Leur projet est en ceci de sortir leurs proches et eux-mêmes de la précarité par tous les moyens disponibles, mêmes interdits par la loi. En ces endroits, il n’est alors pas rare d’entendre que ces jeunes ont été délaissés par le reste de la société, et qu’il se tournent alors vers la criminalité. D’autres diront qu’ils se détournent de la société pour le crime. Le débat ne sera pas résolu, car la différence entre ces deux réponses est seulement de point de vue, d’idéologie politique. Le débat se résume ainsi : est-ce que l’ensemble social assume qu’il avait la mission de sauver les jeunes de quartier d’un destin criminel, ou bien accuse-t-il ces jeunes de s’être tournés vers le crime par des libres choix tournés sans justification valable contre l’ensemble ?
Le choix entre ces deux narrations est un choix politique. C’est pourquoi nous disons que le problème est idéologique. Aussi sommes nous renvoyés aux différentes perspectives qu’ont Piolle et Darmanin sur le spectacle qu’ont donné ces jeunes mettant en scène leur vie de quartier. Nous définirons alors ces deux politiciens et leurs idéologies respectives à l’écart de cet évènement particulier. En disant leur histoire, nous dégagerons leurs projets, et tenterons de comprendre la logique derrière leurs actions.
[Dans cette section, nous nous interrogerons sur l’histoire de deux individus nommés, Piolle et Darmanin. Or, nous venons de nous interroger sur l’histoire d’un groupe social prenant position dans la distribution économique de la cité (les jeunes de quartier et leurs représentants dans le rap). Ce serait une opération asymétrique que de mettre en rapport les deux histoires personnelles des politiciens avec l’histoire de classe impersonnelle de ces jeunes. Nous allons donc faire un effort pour ne pas tomber dans cet écueil. La règle sera pour nous la suivante : ne pas faire entrer en ligne de compte les choix faits par ces acteurs politiques avant leur puberté, c’est-à-dire aux alentours de 16-18 ans. Nous considérons qu’avant cet âge, nous ne pouvons remettre de responsabilité aux individus – ils ne sont alors que des produits économiques et sociaux, et, dès lors, leur parcours dans la cité les définit. Leur personne sera prise comme point de rencontre entre les différentes institutions traversées dans ce parcours, et comme rapport de force entre ces institutions vécu dans la psychè des individus. Ensuite, à partir de 18 ans, les choix refléteront des orientations prises intentionnellement par rapport à ce parcours. Ce seront des choix chargés de sens politique, et de possibilités projetées pour l’avenir de la cité. Ce seront des orientations idéologiques.]
Gérald Darmanin
[Nous tirons nos infos de Wikipedia] Gérald Darmanin fait ses études à Francs-Bourgeois, un collège-lycée catholique du 4é arrondissement de Paris, prestigieux et élitiste : “en 2015, le lycée se classe 4e sur 79 au niveau départemental en termes de qualité d’enseignement, et 7e sur 1617 au niveau national”. Puis, dès 16 ans, il commence à militer et prend sa carte au Rassemblement pour la République (ex-UMP). Ce parcours de jeunesse nous dit alors que, haute pupille de la nation, Gérald prend rapidement parti pour ceux qui valorisent sa position dans l’ensemble social.
Ensuite, s’engageant plus en avant dans la politique, notamment aux côtés de Christian Vanneste (condamné pour des propos homophobes), il “adopte une position catholique traditionaliste à tendance intégriste […] Par l’entremise de Guy de Chergé, il collabore en 2008 au mensuel Politique magazine, organe de presse de l’Action française royaliste, inspiré de Charles Maurras et lié au mouvement Restauration nationale.” Ce moment du parcours de notre ministre de l’intérieur nous révèle son affiliation profonde avec le royalisme. Il choisit, dès sa puberté, de participer au projet de retourner à une direction unilatérale du pays fondé sur un droit naturel identifié au droit divin (catholicisme féodal). Rien, par la suite, ne démentira cette position. Au contraire, Darmanin figurera comme un des mousquetaires du lobby Cadet-Bourbon, courant d’une “nouvelle droite” parmi les députés UMP. Ce lobby nous apparaît ici comme un appel à constituer une nouvelle jeunesse monarchiste. Cette affiliation s’entend encore dans sa constante confusion du naturel et du divin, qui fait par exemple de la sexualité non-reproductive une faute morale, et du libre usage de sa corporéité un blasphème. Ainsi “il déclare [en 2014] : ‘La théorie du genre est absurdité absolue. Il faut s’y opposer totalement’ “.
Tout ceci nous permet enfin d’entendre la logique derrière le mot qu’il utilisa pour désigner la vidéo des dealers de Mistral : celui d’ “ensauvagement”. En fait, c’est déjà en Juillet 2020 que ce glissement idéologique à la tête de l’Etat s’opère.
“Dans un entretien au Figaro peu après sa prise de fonction, Gérald Darmanin appelle à ‘stopper l’ensauvagement d’une certaine partie de la société ‘, reprenant ainsi un terme popularisé par l’extrême droite, notamment par l’auteur Laurent Obertone, et que la droite tend à s’approprier.”
Ici, le rédacteur de la page Wikipedia citée a raison de souligner l’affiliation à la droite profonde, mais il omet la logique historique qui la rend intelligible. En fait, la notion d’ensauvagement n’a de sens que là où la nature est différenciée selon son caractère divin et non-divin. Et cette différenciation à été, historiquement, l’opération de l’ordre féodal catholique. Ainsi, les croisés, arrivant en Afrique, décidèrent que les noirs de peau étaient des humains naturels non-divins, qu’il fallait sauver en convertissant au catholicisme. Sans cela, ils resteraient des “sauvages”.
Si ce rapport aux croisades peut choquer, car il renvoie au moyen âge et à ses manières violentes de concevoir les autres peuples d’humains, il est pourtant d’actualité. Le paradigme royaliste lui-même suppose cette conception, où le naturel est réparti en divin et non-divin et où les humains sont soit “civilisés”, soit “sauvages”. L’universalisme apporté par la classe bourgeoise extra-nationale lors de la révolution Française, est méprisé par l’idéologie féodale, rejeté comme une absurdité trahissant l’unité de la nation. C’est d’ailleurs pourquoi “l’usage de ce terme heurte au sein de la classe politique, y compris au sein de LREM.”. C’est que la droite, en sa portion strictement bourgeoise, prétend encore rester porteuse de l’universalisme de la révolution française. Il faut alors entendre que Darmanin s’oppose à cette droite là, préférant celle des “Cadets-Bourbon”. En devenant ministre de l’intérieur, il porte ainsi aux plus hauts postes du pouvoir l’idéologie qui sépare les civilisés, catholiques, naturellement divins, des sauvages, non-catholiques, naturellement déviants. Il nous semble en tout cas que c’est ce que nous dit son histoire. Son projet, dans cette logique, paraît être la restauration d’un droit divin (“civil” ou encore “républicain”) autorisant à réprimer violemment, sinon éliminer par quelque moyen disponible, toutes les natures déviantes
(“ensauvagement”) dans la société.
Eric Piolle
[Ici encore, nous nous sourçons avec Wikipedia] Après des études au lycée Louis-Barthou à Pau, Piolle poursuit ses études à l’École nationale supérieure de génie industriel de Grenoble. En 2001, il rejoint le groupe Hewlett Packard, et devient un cadre dans les “services logistiques de la chaîne d’approvisionnement pour la zone Europe, Afrique et Moyen-Orient”. Il est alors au service d’une grande entreprise capitaliste, son travail consistant à organiser et à diriger des employés dans le sens des exigences de rentabilisation d’HP. Il est, par ailleurs, tout à fait apte en ce domaine, puisque la même année il ouvre une société de gestion de risques financiers. Cette entreprise propose des expertises et des modélisations de l’avenir pour des entreprises soucieuses d’optimiser leurs investissements (ou “portefeuilles”).
Néanmoins, en 2011, suite à un refus de licencier ses employés en vue d’une délocalisation au bénéfice du groupe, Piolle est lui-même licencié. Ce moment de son histoire doit retenir notre attention, car il nous indique une certaine dissonance entre les pratiques d’entreprises et les orientations idéologiques de l’ex-cadre. A noter, aussi, qu’il se dégagera progressivement de son entreprise Raise Partner après ce moment, quoi qu’il conservera 0,5% des capitaux de l’entreprise et que son épouse continuera d’y occuper un poste en tant que directrice de la recherche et du conseil. Nous pouvons alors dire que, au travers de sa compagne, Eric Piolle reste aujourd’hui encore “au front” de l’actualité économique des entreprises, de leurs enjeux propres et de leurs visions du monde.
Mais d’où vient cette dissonance entre les pratiques d’entreprises et les orientations idéologiques de l’ex-cadre ? Sur sa page Wiki, nous lisons que Piolle “se dit issu d’un courant ‘catho-humaniste'” et “a milité au sein d’associations de soutien scolaire et de défense des enfants de familles sans papiers.”. Il participe aussi, en février 2016, “à une lecture à trois voix de l’encyclique sur l’écologie du pape François Laudato si avec le cardinal Philippe Barbarin et le député de l’Ain Xavier Breton”. Il y a donc une certaine affiliation de l’écologisme politique de Piolle à son catholicisme social, tout comme le néomonarchisme politique de Darmanin se rapporte à son catholicisme féodal.
Il est alors important de revenir sur ce que signifie ici l’expression de “catho-humaniste”. C’est au XIXé siècle, lors de la première industrialisation massive en Europe, que le catholicisme connaît un remaniement de la part d’une fraction de catholiques, plus précisément, de sa fraction ouvrière. En effet, “sa naissance en France est traditionnellement liée à la fondation en 1871 des ‘Cercles catholiques d’ouvriers’ et de ‘l’Union des œuvres ouvrières catholiques’ par Albert de Mun et Maurice Maignen.”. Selon cette révision doctrinale, “le progrès, la rénovation et l’amélioration de l’humanité sont non seulement une réalité historique mais […] ont leur source dans le christianisme” et il s’agit alors pour les chrétiens de participer à la résolution des nouvelles problématiques sociales qui apparaissent avec l’exploitation industrielle et capitaliste (conflits entre classes dans les nouveaux rapports de production). Pour faire court, nous pouvons dire que lorsque les ouvriers se servirent du catholicisme pour défendre leur dignité humaine face à un mode de production déshumanisant, apparu le catholicisme social, ce ‘catho-humanisme’ qu’évoque le maire de Grenoble.
En ceci, par son histoire, Piolle est en partie en dissonance avec les abus humains qu’impliquent l’industrie capitaliste. Et nous pouvons encore mettre en parralèle ce partisanat de Piolle avec les plus récents développements du catholicisme social.
En effet, la critique ‘catho-humaniste’ du XIXé s’est élargie, au cours des 80 dernières années, pour intégrer une critique de l’abus de la nature, assimilée progressivement à un abus de la providence divine elle-même. Cette nouvelle doctrine est particulièrement cultivée par les catholiques d’Amérique du Sud, et elle est officiellement représentée par le Pape François, entré en fonction en 2013. Son Laudato si, écologiste et humaniste, est d’ailleurs précisément celui qu’énonça Piolle en compagnie d’un cardinal et d’un député en 2016. Aussi ce Laudato défend qu’une logique capitaliste industrielle menace le progrès social de l’humanité, et met en jeu la capacité de l’humanité à établir un rapport harmonique (pour ne pas dire symbiotique et divinement parfait) avec la nature. C’est donc une double critique, réunie en une seule, contre la logique du capitalisme industriel qui est soutenue – et Piolle, par son ancrage dans un courant “catho-humaniste”, s’accorde avec cette critique.
Ainsi, l’histoire de Piolle comprend une certaine dissonance. Il est pris entre une parfaite connaissance et une participation relative aux rouages de l’économie capitaliste industrielle, et, de l’autre côté, il participe à une puissante double critique de cette même économie industrielle pouvant se formuler à la fois en termes sociaux et écologiques, réunis sous la bannière “humaniste”. En tirant de là nos conclusions, nous dirons que son projet est ambivalent, équivoque, puisqu’il s’agit d’un côté de jouer selon les règles de ce qui est critiqué, et de l’autre de faire advenir (par ces règles) une organisation sociale garantissant une meilleure reconnaissance entre être humains et à l’égard de l’écosystème planétaire.
La rencontre entre trois logiques pour l’action, la lettre de Darmanin à Piolle comme évènement virtuel.
Nous voici donc armé pour comprendre le phénomène qu’est la lettre de Darmanin à Piolle comme l’actualisation d’une tension toujours déjà possible entre trois acteurs ayant trois orientations politiques bien distinctes. Cette lettre met effectivement en jeu trois histoires et trois projets que nous résumons ici :
- D’abord, il y a l’histoire de ceux qui sont orientés tendanciellement vers des modes de revenus illégaux, par lesquels ils cherchent à sortir d’une précarité autrement promise par les institutions légales. Ceux là ont le projet de sortir leurs proches et eux-mêmes de la précarité par tous les moyens possibles.
- Ensuite, il y a l’histoire de celui qui s’est toujours maintenu en haut d’une structure sociale qui le favorise, en soutenant la naturalité divine de ceux qui gouvernent dans une tendance à réinstaurer un gouvernement de type monarchique (pouvoir absolu unilatéral). Son projet, est précisément cette restauration d’un droit divin (“civil” ou encore “républicain”) autorisant à éliminer, par quelque moyen, toutes les natures déviantes dans la société (“ensauvagement”) menaçant l’ordre maintenu par lui (pour lui).
- Enfin, il y a l’histoire de celui qui est pris entre une parfaite connaissance et une participation relative aux rouages de l’économie capitaliste industrielle, et, de l’autre côté, une double critique de cette même économie industrielle en termes sociaux et écologiques. Son projet est alors ambivalent, équivoque, puisqu’il s’agit d’un côté de jouer selon les règles (bien connues par lui) de ce qui est critiqué, et de l’autre de faire advenir (par ces règles) une organisation sociale garantissant une meilleure reconnaissance entre être humains et à l’égard de l’écosystème planétaire.
Ces trois devenirs distincts dont la rencontre à donné forme à l’évènement d’actualité sont entrés en contact d’une certaine façon, celle qui s’est actualisée dans les journaux. En elle, Darmanin a reproché à Piolle ses “discours angéliques”, a promu une action agressive de l’état à l’égard des banlieues, et s’est drapé de toute l’autorité officielle en tant que ministre de l’intérieur pour faire de ce reproche une directive réaliste. C’est Darmanin qui a eu l’avantage dans cet évènement. La lettre vient de la “tête” du gouvernement à un de ses “membres”. Autrement dit, en elle, l’histoire et le projet de Piolle sont subordonnées à celle de Darmanin. Et l’un et l’autre font des jeunes de banlieues un objet extérieur dont ils mettent en cause la place dans la société.
Autrement dit, ceux qui ont le projet de sortir leur personne et leur proches de la précarité par tous les moyens disponibles ont été mis en jeu comme des objets à gérer dans cet évènement. D’un côté, Darmanin, avec l’avantage ministériel, a fait des jeunes de banlieues des menaces pour le pouvoir naturel et divin dans lequel il se projette. Il a réduit les jeunes de mistral à des “sauvages”, menaçant “l’ordre de la république”. Selon lui, il faut donc réprimer, effacer, dompter cet objet dangereux.
De l’autre côté et contre lui (quoique sur une position défensive intimée par sa position de maire adressant un ministre) Piolle a défendu que ces jeunes de banlieues sont au contraire une opportunité pour l’Etat de transformer l’organisation sociale pour qu’ils puissent être reconnus en leur qualité d’humains. L’occasion se présente d’aider ceux qui ont été systématiquement précarisés par une logique capitaliste industrielle.
Enfin, les jeunes de banlieues eux-mêmes, pour servir leur propre projet, se sont objectivés en se mettant en scène. Par la diffusion de cette vidéo et par le “buzz” qu’a fait celle-ci, ils se sont mis en jeu comme objet dans la société. Et par là, ils ont obtenu quelque chose d’un saint graal : ce magistral coup de théâtre va permettre aux jeunes de tirer de leur clip un profit. Il va vendre, pouvoir générer un revenu, (ne serait-ce qu’en le monétisant sur Youtube). Et par là, ils pourront un peu plus se sortir eux-mêmes et leurs proches de la précarité. Pour preuve, en un jour, le clip a déjà 120 000 vues. Ainsi, la grande ironie est que la mise en scène d’une manière de faire du profit qui conteste les voies légales va générer légalement un revenu. Et le comble du comble, c’est que la publicité pour le produit a été faite par Darmanin lui-même, par sa logique disciriminatoire et autoritaire qui surinterpréta ce qui se présentait à ses yeux. Les mises en scène spectaculaires tournant à vide de Darmanin se sont inscrites dans la logique des rappeurs comme une publicité à l’échelle nationale.
Ainsi nous dirons que le profit, comme d’habitude, sort de cette histoire comme la logique gagnante, comme le grand principe explicatif des ressorts centraux à cet évènement d’actualité. En témoigne les dernières lignes du son produit par les jeunes de mistral : “faut des sous mec, c’est pour ça que j’fais des sons mon pote… Tu connais, fait tourner l’son sa mère, enculé.”.